La Loi du 23 octobre 2025 : fusions de sociétés sœurs et fiscalité – ce que doivent savoir actionnaires et entrepreneurs

Nov 30, 2025

La loi du 23 octobre 2025 (modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 et le Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe en ce qui concerne les réorganisations fiscalement neutres) ouvre de nouvelles possibilités en matière de restructuration de sociétés, en particulier pour les fusions de sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions. Elle aligne enfin le Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) sur le Code des sociétés et des associations (CSA), là où subsistaient des incohérences pénalisantes pour les groupes familiaux et les holdings.

Cet article s’adresse aux actionnaires, investisseurs et dirigeants qui :

  • détiennent plusieurs sociétés sœurs en Belgique (structures de groupe, sociétés patrimoniales, sociétés d’exploitation) ;
  • envisagent une simplification de leur structure (fusion interne, rationalisation d’activités, préparation d’une cession) ;
  • souhaitent le faire dans un cadre fiscal sécurisé, sans déclencher d’imposition inattendue ni de droits d’enregistrement inutiles.

L’objectif est double :

  1. exposer ce que change la loi du 23 octobre 2025 pour les fusions de sociétés sœurs ;
  2. mettre en lumière les conséquences pratiques pour vos futures restructurations et projets de transmission.

1. Le problème de départ : une fusion permise en droit des sociétés mais risquée fiscalement

Avant la loi du 23 octobre 2025, une situation paradoxale prévalait.

En droit des sociétés (CSA) : la fusion de sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions était admise. Si une société Omega détenait 100 % des actions de deux filiales Alpha et Beta, il était économiquement logique de pouvoir fusionner Alpha et Beta sans créer d’actions supplémentaires au profit d'Omega.

En droit fiscal (CIR 92) : pour bénéficier de la neutralité fiscale, le régime de fusion exigeait en pratique l’émission de nouvelles actions.

Conséquence :

  • si l’on fusionnait deux sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions (solution économiquement rationnelle), l’administration pouvait considérer que la neutralité fiscale ne s’appliquait pas et taxer l’opération ;
  • il fallait donc au choix :
    • émettre artificiellement des actions pour « satisfaire » le texte fiscal, ou
    • accepter un risque fiscal significatif pour une simple réorganisation interne de patrimoine.

La loi du 23 octobre 2025 met fin à cette impasse.

2. Fusion de sociétés sœurs : neutralité fiscale confirmée sans émissions d’actions

La réforme modifie l’article 211 CIR 92 et confirme que la neutralité fiscale s’applique désormais même en l’absence d’émission de nouvelles actions dans le cadre d’une fusion de sociétés sœurs.

Concrètement :

  • les réserves immunisées (par exemple réserves de liquidation ou réserves d’investissement) existant dans la société absorbée peuvent être transférées à la société absorbante sans perdre leur caractère exonéré, si les conditions générales de neutralité sont remplies ;
  • le report d’impôt dont bénéficiait la société absorbée continue à s’appliquer dans le chef de la société absorbante, comme si la fusion n’avait pas rompu la continuité économique.

La loi confirme également qu’aucune réduction de capital n’est présumée du seul fait qu’aucune action nouvelle n’est émise dans la société absorbante.

  • Avant : une partie du patrimoine transféré pouvait être analysée comme une « réduction de capital déguisée », avec des conséquences défavorables lors de distributions ultérieures ou d’une cession.
  • Désormais : la fusion entre sociétés sœurs sans émission d’actions ne fait pas naître, par présomption, une réduction de capital. La flexibilité future pour distribuer des bénéfices ou céder la société est préservée.

3. Valeur d’acquisition fiscale des actions après fusion : sécurisation du calcul de plus-value

La loi traite ensuite un point décisif pour les actionnaires : la valeur d’acquisition fiscale des actions après une fusion de sociétés sœurs.

Schéma simplifié, directement repris de la logique du texte :

  • vous investissez initialement 200.000 € dans une société SpaceX;
  • vous investissez ensuite 300.000 € dans une société sœur Tesla;
  • vous fusionnez SpaceX et Tesla, SpaceX étant société absorbante ;
  • quelques années plus tard, vous vendez SpaceX pour 1.000.000 €.

Sans intervention du législateur, la plus-value imposable aurait pu être calculée uniquement par référence à l’investissement initial dans SpaceX (200.000 €), soit une plus-value de 800.000 €.

La loi du 23 octobre 2025 corrige cette distorsion :

  • la valeur d’acquisition fiscale de SpaceX après la fusion correspond à la somme des investissements historiques, soit 500.000 € (200.000 € + 300.000 €) ;
  • la plus-value imposable, en cas de vente à 1.000.000 €, est donc limitée à 500.000 €, ce qui reflète la réalité économique globale.

Dans le même esprit, si la valeur de cession était inférieure à ces 500.000 €, une moins-value serait potentiellement constatée selon le régime applicable.

4. Plus-values sur actions : nouvelle règle proportionnelle pour la période de détention

La loi introduit une innovation importante pour le régime d’exonération des plus-values sur actions lorsque la vente intervient peu de temps après une fusion (notamment entre sociétés sœurs).

4.1 Le principe rappelé

En droit fiscal belge, certaines plus-values sur actions réalisées par des sociétés peuvent être exonérées si plusieurs conditions sont réunies, dont notamment :

  • une période minimale de détention d’un an.

En cas de fusion de sociétés sœurs, la question se posait : comment apprécier cette période de détention lorsque des actions sont « remplacées » par celles de la société absorbante ?

4.2 La difficulté avant la loi

Avant la réforme, l’issue pouvait dépendre d’un choix purement technique : la société désignée comme absorbante.

  • Si la société absorbante était détenue depuis plus d’un an, l’argument en faveur de l’exonération totale pouvait être avancé.
  • Si, à l’inverse, la société absorbante était une entité détenue depuis moins d’un an, l’exonération pouvait être refusée, alors même que la réalité économique globale de l’investissement était identique.

4.3 La solution apportée : une répartition proportionnelle

La loi met en place une règle proportionnelle :

  • la plus-value globale réalisée lors de la cession des actions après la fusion est ventilée en proportion des investissements initiaux dans les sociétés fusionnées ;
  • la fraction correspondant à des participations détenues depuis plus d’un an bénéficie de l’exonération,
  • la fraction correspondant à des participations récentes reste imposable.

Exemple simplifié pour illustrer le propos :

  • une société détient une première participation de 400.000 € depuis plus d’un an dans la société Nexpedia;
  • elle acquiert ensuite, pour 600.000 €, la société ASML qu’elle ne détient que depuis quelques mois ;
  • Nexpedia et ASML fusionnent, puis les actions de la société issue de la fusion sont revendues avec une plus-value totale de 600.000 €.

La loi prévoit que :

  • 40 % de la plus-value (400.000 / 1.000.000) sont rattachés à la participation détenue depuis plus d’un an : cette partie peut être exonérée ;
  • 60 % de la plus-value sont rattachés à la participation récente : cette partie reste imposable.

En pratique, cette approche proportionnelle :

  • est plus équitable, car elle épouse la réalité de la durée de détention ;
  • impose en contrepartie une analyse plus fine des restructurations lorsque la cession des actions est envisagée à brève échéance.

5. Restructurations impliquant de l’immobilier : droits d’enregistrement et scission partielle silencieuse

La loi règle ensuite une question sensible dès que des immeubles sont impliqués dans une restructuration.

5.1 Rappel : droits d’enregistrement en cas de transfert d’immeubles

Les droits d’enregistrement sur les immeubles peuvent atteindre 12,5 % de la valeur du bien selon la Région, ce qui représente des montants significatifs pour une PME ou un groupe familial.

Depuis longtemps, une exonération existe pour certaines restructurations d’entreprises (fusion, scission, etc.), mais elle était subordonnée notamment au fait que l’apport de l’immeuble soit rémunéré par l’attribution d’actions ou de parts.

5.2 Fusions de sociétés sœurs sans actions nouvelles

Dans une fusion entre sociétés sœurs sans émission de nouvelles actions, cette condition posait un problème :

  • un immeuble d’une valeur de 2.000.000 € transféré dans le cadre d’une fusion simplifiée pouvait, en théorie, être soumis aux droits d’enregistrement faute de « rémunération » en actions ;
  • les groupes se retrouvaient dans une incertitude fiscale difficilement compatible avec une gestion prudente.

La loi du 23 octobre 2025 modifie explicitement le Code des droits d’enregistrement pour confirmer que l’exonération s’applique également :

  • aux fusions simplifiées entre sociétés sœurs, même sans émission d’actions nouvelles.

5.3 Scission partielle silencieuse

La même logique est étendue à la scission partielle silencieuse :

  • une branche d’activité est transférée d’une société vers une filiale déjà détenue à 100 % ;
  • aucune nouvelle action n’est attribuée au bénéficiaire, puisqu’il détient déjà l’intégralité du capital.

Lorsque la branche transférée comprend des biens immobiliers, la loi confirme que l’exonération des droits d’enregistrement est également applicable, pour autant que les autres conditions soient réunies.

6. Notion de « branche d’activité » : une définition désormais harmonisée

Enfin, la loi s’attaque à une divergence terminologique qui compliquait inutilement la vie des praticiens : la notion de branche d’activité.

  • Certains régimes fiscaux favorables (notamment en matière de droits d’enregistrement) exigent le transfert d’une véritable branche d’activité, et non de simples actifs isolés.
  • Historiquement, le Code des sociétés et le Code des impôts utilisaient des formulations différentes, en particulier en néerlandais, ce qui laissait planer un doute sur une éventuelle différence de portée juridique.

La loi du 23 octobre 2025 :

  • harmonise la terminologie et la définition entre le CSA et le CIR 92 ;
  • confirme que la notion de branche d’activité est désormais appréhendée de manière cohérente sur les deux plans.

Pour l’entrepreneur, cela signifie :

  • moins de risque de divergence d’interprétation entre droit des sociétés et droit fiscal ;
  • une meilleure prévisibilité dans la structuration et la documentation des opérations de fusion, scission ou scission partielle silencieuse.

7. Points essentiels à retenir pour vos décisions stratégiques

La loi du 23 octobre 2025 traite encore d’autres questions, notamment l’extension du régime fiscal des fusions aux associations et fondations soumises à l’impôt des sociétés. Nous nous concentrons volontairement sur les points principaux qui concernent les actionnaires et entrepreneurs.

Pour vos décisions de restructuration, cinq idées clés doivent être retenues :

1. Neutralité fiscale et fusions de sociétés sœurs
Lors d’une fusion de sociétés sœurs, la neutralité fiscale est désormais possible même en l’absence d’émission de nouvelles actions, sous réserve des conditions de base du régime.

2. Valeur d’acquisition des actions
La valeur d’acquisition fiscale des actions de la société absorbante inclut clairement les investissements historiques dans les sociétés sœurs absorbées, ce qui évite des plus-values artificiellement gonflées lors d’une vente ultérieure.

3. Période de détention et plus-values
La nouvelle règle proportionnelle impose d’analyser attentivement, avec votre conseil, le sens de la fusion et le calendrier de toute cession envisagée à court terme. La même plus-value pourra être partiellement exonérée et partiellement imposée selon l’origine des participations.

4. Droits d’enregistrement et immobilier
Les restructurations impliquant des transferts immobiliers (fusion simplifiée entre sœurs, scission partielle silencieuse) peuvent bénéficier d’une exonération de droits d’enregistrement, même sans émission d’actions nouvelles, ce qui rend envisageables des opérations qui auraient été fiscalement prohibitives auparavant.

5. Critère anti-abus et motifs économiques réels
Tous ces avantages restent soumis aux conditions générales de neutralité, en particulier au critère anti-abus :

  • l’administration examinera toujours si la restructuration répond à des besoins réels de gestion, d’organisation ou de préparation d’une cession ;
  • une opération purement artificielle, ayant pour objectif principal la réduction d’impôt, s’expose à une remise en cause.

Besoin d’un accompagnement pour vos restructurations de sociétés et fusions de sociétés sœurs ?

Vous envisagez :

  • de fusionner des sociétés sœurs au sein de votre groupe ;
  • de simplifier une structure historique avant une transmission ou l’entrée d’un investisseur ;
  • de restructurer un patrimoine immobilier (société immobilière, scission partielle silencieuse) dans un cadre sécurisé ;

Nous vous accompagnons dans :

  • l’analyse préalable de vos options de fusion, scission ou réorganisation ;
  • la modélisation des conséquences fiscales (neutralité, plus-values, droits d’enregistrement) ;
  • la rédaction et la mise en œuvre juridique des opérations (projets de fusion, rapports, PV, documentation fiscale).

Vous souhaitez aller plus loin ou sécuriser un projet déjà en réflexion ?
Vous pouvez me contacter ici via le formulaire du site, ou appeler directement au +32 456 37 94 33.

Nous pourrons définir ensemble une restructuration juridiquement solide et maîtrisée, adaptée à vos besoins, à votre horizon de détention et à vos objectifs patrimoniaux.