Rapatriement de fonds: transformer la contrainte en avantage stratégique pour vos flux financiers internationaux
Un panel de haut niveau à Kinshasa
Le 5 novembre 2025, j’ai eu le plaisir d’animer à Kinshasa un panel de haut niveau intitulé « Liste grise du GAFI : entre contraintes et opportunités » dans le cadre de la 4ᵉ édition de la DRC Compliance Session, organisée à l’Hôtel Hilton.
Ce panel était composé d'experts congolais et internationaux de tout premier plan, issus des autorités de supervision, des institutions financières et des cabinets de conseil, directement impliqués dans la mise en œuvre du plan d’action LBC/FT de la République Démocratique du Congo, notamment:
- Monsieur Michel Sapin, ancien ministre français de l’Économie et des Finances, aujourd’hui avocat au barreau de Paris, reconnu notamment pour avoir porté les lois « Sapin » et « Sapin II » en matière de probité et de lutte contre la corruption.
- Monsieur Mukota Muteba, directeur général du Fonds de lutte contre le crime organisé (FOLUCCO), acteur central de la mise en œuvre des mécanismes de saisie, gel et confiscation des avoirs criminels en RDC.
- Monsieur Isaac Kalala, directeur de la conformité de la Rawbank, la plus grande banque commerciale de la République Démocratique du Congo.
- Monsieur Bod-David Nzoimbegene, l'associé-gérant du cabinet de conseil Deloitte RDC.
Les échanges très concrets de ce panel nourrissent directement l’analyse et les recommandations proposées dans cet article.
Que faut-il retenir de ce panel ?
La République Démocratique du Congo (RDC) figure aujourd’hui sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), c’est-à-dire parmi les juridictions placées sous « surveillance renforcée » en raison de déficiences stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). La liste grise identifie des pays dont le dispositif présente encore des lacunes, mais qui se sont engagés à un plan d’action pour y remédier.
Pour les entreprises et institutions financières actives en RDC, cette situation se traduit par :
- une vigilance renforcée des correspondants bancaires étrangers ;
- des exigences documentaires accrues pour les paiements internationaux ;
- des délais et parfois des refus dans le rapatriement de fonds ;
- une perception de risque pays plus élevée, avec effet sur le coût du capital.
La conséquence immédiate pour les dirigeants, directeurs financiers, banquiers et responsables compliance qui doivent faire transiter des flux vers ou depuis la RDC est qu'ils sont confrontés à des blocages ou retards dans les paiements et rapatriements de fonds. En outre, ils doivent, de manière constante, chercher à rassurer leurs banques correspondantes et leurs investisseurs.
Durant ce panel, nous avons exploré comment transformer la contrainte de la liste grise en levier de crédibilité.
Trois idées clés se sont dégagées:
- La liste grise est une contrainte réelle, mais aussi l’occasion de démontrer un différentiel positif de conformité par rapport au « risque pays ».
- La clé réside dans la capacité à documenter l’effectivité du dispositif LBC/FT (et non seulement son existence juridique).
- Un travail structuré sur les dossiers types de rapatriement de fonds, la gouvernance de conformité et le dialogue avec les banques permet de réduire significativement les frictions opérationnelles.
Contexte et enjeux pour les entrepreneurs / les entreprises
1. Un environnement de conformité sous tension
L’inscription sur la liste grise signifie que le pays est jugé comme présentant des déficiences stratégiques en matière LBC/FT, mais qu’il coopère avec le GAFI pour les corriger via un plan d’action formel.
Pour un acteur économique, cela implique notamment :
- un curseur de risque relevé pour toute opération liée à la RDC ;
- des contrôles renforcés dans les banques de l’Union européenne et d’autres juridictions appliquant strictement les recommandations du GAFI ;
- une propension accrue des banques à « sur-réagir » aux signaux de risque (De-risking), surtout en présence d’informations incomplètes ou incohérentes.
2. Un impact macroéconomique qui se décline au niveau micro
Les études internationales montrent qu’une inscription sur la liste grise s’accompagne, en moyenne, d’une baisse mesurable des flux de capitaux entrants (investissements directs, financements, autres mouvements de capitaux). L’effet concret pour l’entreprise est double :
- une incertitude accrue sur la disponibilité et le coût de la liquidité en devises ;
- un risque de friction sur chaque paiement international (surtout en USD et EUR).
Pour un groupe minier, un opérateur bancaire, un industriel ou une société de services :
- les dividendes, management fees, redevances, remboursements de prêts intra-groupe ou cessions de participations peuvent être retardés ou remis en cause faute de dossier suffisamment solide ;
- les paiements à des fournisseurs stratégiques à l’étranger peuvent être bloqués par la banque correspondante, au risque de perturber l’exploitation ;
- le dialogue avec les investisseurs et bailleurs se complique si l’entreprise ne peut démontrer sa maîtrise des risques LBC/FT.
Cadre juridique : un dispositif en cours de consolidation
1. Les exigences du GAFI et des partenaires internationaux
Sur le plan international, la RDC est évaluée au regard des 40 recommandations du GAFI et de l’efficacité de leur mise en œuvre. Le classement sur la liste grise résulte de lacunes constatées dans le système, notamment en matière de :
- compréhension et supervision fondées sur les risques ;
- efficacité des enquêtes et poursuites en financement du terrorisme ;
- mise en œuvre des sanctions financières ciblées (gel « sans délai » des avoirs visés).
L’Union européenne, de son côté, maintient une liste des pays tiers à haut risque en matière LBC/FT, ce qui impose aux banques européennes des mesures de due diligence renforcée pour tout lien avec ces juridictions (clients, bénéficiaires effectifs, opérations).
2. Les réformes engagées par la RDC
Sur le plan interne, la RDC a engagé depuis 2022 un chantier de modernisation de son dispositif :
- lois de base en matière de lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme et de la prolifération (Loi n° 22-068 du 27 décembre 2022 portant lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive );
- décrets d’exécution portant sur :
- l’organisation de la CENAREF (Cellule nationale des renseignements financiers) et son rôle de régulateur des entités et professions non financières désignées ;
- la mise en place du Fonds de Lutte contre le Crime Organisé (FOLUCCO) et de mécanismes d’affectation des avoirs confisqués ; zoom-eco.net
- la création du CONASAFIC, comité national en charge des sanctions financières ciblées ;
- instructions de la Banque centrale du Congo (notamment sur le filtrage des sanctions et les obligations LBC/FT des banques).
Le droit écrit est donc en cours d’alignement sur les standards internationaux. Le véritable enjeu – au cœur des échanges du panel – est désormais celui de l’effectivité : volumes d’alertes traitées, gels prononcés, dossiers transmis au ministère public, décisions de confiscation, temps de réaction, cohérence des données publiées.
Analyse pratique : piloter vos risques et sécuriser vos flux
1. Mesurer l’effet de la liste grise sur vos opérations
Pour un entrepreneur, un DAF ou un banquier, la question clé est :
« En quoi la liste grise change-t-elle concrètement la gestion de mes flux financiers ? »
Les effets principaux sont les suivants :
- Relèvement du niveau de suspicion de base: Toute opération impliquant la RDC est analysée avec un biais de prudence. À défaut d’un dossier clair, la préférence de la banque sera souvent pour le blocage ou le report.
- Intensification des exigences documentaires: Les demandes de pièces sont plus nombreuses et plus détaillées :
- contrats et annexes ;
- justificatifs économiques (rapports, PV, preuves de prestations) ;
- éléments de gouvernance (PV d’assemblée, conventions intragroupe);
- preuve de la situation fiscale et de la conformité réglementaire.
- Sensibilité accrue aux signaux de risque: Les contrôles automatisés (sanctions, PEP, presse négative) génèrent davantage d’alertes. Une simple homonymie peut entraîner un gel temporaire si le traitement des faux positifs n’est pas bien organisé.
- Effet réputationnel sur l’ensemble de l’écosystème congolais: Même les acteurs les plus vertueux sont initialement perçus à travers le prisme du risque pays. L’effort de démonstration repose donc sur eux.
2. Construire une gouvernance de conformité crédible
Une gouvernance crédible repose sur trois piliers :
a) Approche par les risques formalisée
- cartographie des risques LBC/FT spécifique à votre activité (mines, banque, assurance, télécom, services, ONG, etc.) ;
- classification des clients, produits, canaux et pays ;
- définition claire de la tolérance au risque, adoptée par l’organe de gestion.
b) Procédures opérationnelles réalistes et appliquées
- procédures KYC adaptées au contexte congolais (identification, documentation, vérifications) ;
- filtrage des sanctions aligné sur les listes et exigences internationales ;
- traitement structuré des alertes (priorisation, enquête, décision documentée).
c) Preuve d’effectivité
- indicateurs suivis : nombre d’alertes, délais de traitement, gels, dossiers transmis, taux de faux positifs ;
- audits internes et, autant que possible, revues indépendantes ciblées ;
- comptes rendus de comités de conformité et reporting aux organes sociaux.
C’est ce triptyque – risques, procédures, effectivité – que regardent les correspondants bancaires et investisseurs, au-delà du seul texte de la loi.
3. Sécuriser le rapatriement de fonds : travailler par « dossiers types »
Le rapatriement de fonds (dividendes, management fees, prêts, redevances, cash pooling, cessions d’actions, etc.) est l’un des sujets les plus sensibles dans un contexte de liste grise.
Une approche efficace consiste à :
1. Cartographier vos flux transfrontaliers
- identifier tous les flux financiers entre entités congolaises et étrangères (montants, fréquence, devises, contreparties) ;
- distinguer flux intragroupe, flux opérationnels, flux d’investissement, flux exceptionnels.
2. Définir un dossier standard par type de flux
Pour chaque catégorie, préparer en amont un « package » contenant :
- contrat(s) sous-jacent(s) complet(s) ;
- factures et preuves de réalité des prestations / livraisons ;
- PV d’assemblée ou de conseil (dividendes, conventions réglementées, approbation d’accords intragroupe) ;
- attestations fiscales, preuves de retenues à la source éventuelles ;
- organigramme du groupe et identification du bénéficiaire effectif ;
- résultats des screenings LBC/FT et des analyses internes de risque.
3. Tester la cohérence économique
Les banques évaluent de plus en plus la plausibilité économique du flux :
- niveau des management fees vs. taille de l’activité et fonctions réellement exercées ;
- cohérence des dividendes avec les résultats et la politique d’investissement ;
- justification du pays de destination (substance, fiscalité, présomption de risque).
4. Organiser un dialogue structuré avec vos banques
- identifier un point de contact compliance pour chaque banque clé ;
- présenter votre dispositif et vos dossiers types en amont ;
- clarifier les attentes réciproques en termes de pièces et de délais.
4. Gérer la relation avec les correspondants bancaires et les bailleurs
Dans un pays sur liste grise, la relation avec les correspondants bancaires ne peut pas se limiter à l’échange de Swift. Elle doit être gérée comme un actif stratégique.
Bonnes pratiques :
- prévoir des sessions techniques dédiées avec les correspondants pour présenter votre gouvernance, vos procédures et vos statistiques clés ;
- mettre en avant, lorsque c’est pertinent, les audits indépendants ou évaluations externes réalisés ;
- se fixer des engagements de progrès (par exemple : réduction des délais de traitement des alertes, amélioration du tri des faux positifs, publication d’indicateurs LBC/FT) et en assurer le suivi.
Erreurs fréquentes & pièges à éviter
1. Minimiser l’effet de la liste grise
Erreur fréquente: Considérer que la liste grise est un sujet « macro » qui ne concerne que l’État et la Banque centrale.
Risque: Sous-estimation des contraintes réelles sur les paiements, les rapatriements de fonds et la perception de risque par les banques étrangères.
À éviter: Intégrer explicitement la liste grise dans votre cartographie des risques, votre plan de trésorerie et la structuration de vos flux transfrontaliers.
2. Avoir un dispositif LBC/FT « de papier »
Erreur fréquente: Se contenter de politiques et procédures très complètes sur le papier, sans organisation claire de leur application ni contrôle de leur efficacité.
Risque: Perte immédiate de crédibilité face à un correspondant bancaire ou un auditeur qui confronte les textes à la pratique réelle.
À éviter: Documenter ce qui est effectivement fait, mesurer l’effectivité (indicateurs, audits internes ou externes) et améliorer progressivement, plutôt que multiplier les textes théoriques.
3. Omettre la transparence sur le bénéficiaire effectif
Erreur fréquente: Organigrammes obsolètes ou incomplets, structures opaques, absence de documentation claire sur le bénéficiaire effectif final.
Risque: Suspicion systématique des banques, en particulier dans les secteurs sensibles (mines, matières premières, marchés publics, change).
À éviter: Mettre à jour régulièrement l’organigramme, identifier clairement le bénéficiaire effectif final et expliquer la logique des structures (fiscale, gouvernance, financement).
4. Travailler en silos internes
Erreur fréquente: Laisser la finance, le juridique, la fiscalité, la conformité et les conseils externes travailler chacun de leur côté.
Risque: Dossiers incohérents, réponses partielles ou contradictoires aux banques, délais de traitement allongés, incidents évitables.
À éviter: Désigner, pour chaque flux important, un responsable de dossier chargé de coordonner l’ensemble des informations et d’être l’interlocuteur unique des banques.
5. Attendre le blocage d’une opération pour agir
Erreur fréquente: Ne revoir ses procédures qu’après un incident majeur (paiement bloqué, clôture de compte, refus de correspondance).
Risque: Gestion de crise sous contrainte de temps, tensions de trésorerie, détérioration durable de la relation bancaire.
À éviter: Tester en amont vos « dossiers types » de rapatriement de fonds et vos procédures LBC/FT comme s’ils étaient examinés par un correspondant étranger.
6. Sous-estimer les sanctions financières ciblées
Erreur fréquente: Traiter les sanctions internationales et nationales comme un sujet purement théorique ou politique, sans dispositif opérationnel solide.
Risque: Non-respect potentiel des obligations de gel « sans délai », risques réglementaires élevés et inquiétude des correspondants bancaires.
À éviter: Mettre en place un filtrage systématique, documenter le traitement des alertes et faux positifs, tracer les décisions de gel ou de non-gel et former les équipes aux règles applicables.
Nos recommandations concrètes
1. Mettre à jour la cartographie des risques LBC/FT
Intégrer explicitement la situation de la RDC sur la liste grise du GAFI et les expositions associées (clients, produits, zones).
2. Standardiser les dossiers de rapatriement de fonds
Créer, pour chaque type de flux (dividendes, services intragroupe, prêts, royalties, cessions), un dossier type partagé entre finance, juridique, fiscal et compliance.
3. Tester le dispositif comme le ferait un correspondant bancaire
Organiser des revues internes ou externes simulant les attentes d’une banque européenne ou internationale.
4. Structurer le dialogue avec les banques et les bailleurs
Ne pas attendre un incident : présenter votre dispositif, vos chiffres clés et vos plans d’amélioration ; montrer que vous êtes un partenaire prévisible et transparent.
5. Investir dans la qualité des données et de la documentation
Un système de conformité n’est crédible que si les données sont fiables (KYC, organigrammes, historiques de flux) et si la documentation est facilement accessible et cohérente.
Check-list pratique pour toute opération de paiement ou de rapatriement
Avant d’initier un flux transfrontalier significatif impliquant la RDC, vérifiez que vous disposez de :
- Contrat(s) sous-jacent(s) signé(s), à jour et compréhensibles.
- Factures, notes ou pièces détaillant précisément la contre-prestation.
- PV ou décisions des organes sociaux lorsque requis (dividendes, conventions intragroupe, etc.).
- Attestations et justificatifs fiscaux pertinents.
- Organigramme actualisé, avec identification claire du bénéficiaire effectif.
- Dossier KYC complet pour chaque partie impliquée.
- Résultats de screenings sanctions / PEP, avec traitement documenté des faux positifs éventuels.
- Note interne de justification économique du flux (logique, montants, fréquence).
- Vérification spécifique des zones géographiques sensibles ou typologies à risque.
- Un point de contact désigné (juridique / compliance) pour répondre aux demandes des banques.
Et concrètement, comment pouvons-nous vous aider ?
La sortie de la liste grise est un objectif national de la RDC. Mais pour votre entreprise ou votre institution, l’enjeu immédiat est plus pragmatique : montrer que, malgré le contexte pays, vos flux sont maîtrisés, documentés et conformes.
C’est précisément à cette intersection – entre normes internationales, droit congolais et pratique opérationnelle des flux financiers – que notre cabinet positionne son intervention, entre Bruxelles et Kinshasa.
Si vous souhaitez :
- auditer vos dispositifs LBC/FT à la lumière des attentes des correspondants bancaires ;
- structurer des dossiers types de rapatriement de fonds pour vos flux récurrents ;
- préparer vos équipes (finance, juridique, compliance) au dialogue avec les banques étrangères ;
vous pouvez me contacter ici ou appelez directement au +32 456 37 94 33.
Nous pourrons définir ensemble un plan d’action réaliste et priorisé, adapté à votre taille, à votre secteur et à vos enjeux de trésorerie, pour faire de la conformité non pas un frein, mais un atout dans un environnement sous surveillance renforcée.
